Maison Témoin ( s )

Trois artistes se mettent à table. Pour leur première collaboration, Elodie Rassel, Pauline Angotti et Elise Kobisch-Miana convient au 6B le visiteur à un étrange repas, dont le met principal pourrait bien être les artistes elles-mêmes.

Au centre de l’exposition, une salle à manger, où trois personnages -la mère, le père, le fils- officient à tour de rôle. L’apparente banalité de la scène se fissure rapidement sous l’assaut des pensées inavouées des convives: quand l’une s’adonne à sa passion pour les viandes congelées, l’autre dessine des paysages de vaisselle brisée, et le troisième élabore en secret des potions stupéfiantes. Dans un coin de la pièce, un buste aux allures de totem organique devient l’espace de projection des émotions enfouies et souvenirs épars qui façonnent l’imaginaire trouble de nos personnages.

Qui sont-ils ? Un panneau de photographies nous en apprend davantage sur cette famille faussement ordinaire. Voyage de noce en Russie, soirée d’entreprise, fête de noël, promenade à la campagne : une première série joue avec humour la carte du snapshot, dans les décors du 6B et de ses alentours, ainsi promu personnage à part entière de l’exposition. Une seconde série aligne des portraits dans le style du studio Harcourt, où postiches et rajouts soulignent à l’envie le caractère factice de la mise en scène.

Révéler l’envers du décor, c’est en effet l’un des leitmotivs de l’exposition. Sur la face externe du mur de la salle à manger, fils électriques et spaghettis de mousse expansée se donnent ainsi à voir, dans un fouillis de formes corporelles -mains, visages, oreilles… Interface entre un maelström organique et le monde visible, le mur se fait peau, et l’espace de l’exposition comme un corps retourné sur lui-même, dedans dehors et vice-versa.

Car ce qui se consomme ici, c’est bien le corps des artistes, leurs rêves et leurs fantasmes – « Je suis un lieu » est la maxime qui, nous disent-elles, a présidé à leurs travaux. Cela est d’autant plus vrai que le travail ici montré est l’aboutissement de deux mois d’intense collaboration et d’expériences partagées, ponctués d’ateliers destinés à faire émerger des personnages, un scénario, une oeuvre.

La réussite de l’exposition réside sans doute là, dans la fabrication raisonnée d’un imaginaire commun, dont cette Maison est l’éphémère Témoin.

Stéphanie Lerouge